" L'Affaire PIANORI ! "

Giovanni PIANORI est condamné à mort ! Il sera décapité !


COUR D'ASSISES DE LA SEINE.


Audience du 7 mai 1855.


Le samedi 28 avril 1855, vers cinq heures, l'Empereur était à cheval aux Champs-Élysées, accompagné du comte Ed. Ney, l'un de ses aides de camp, et de M. le lieutenant-colonel de Valabrègue, écuyer, lorsque, à la hauteur du Château des Fleurs, Pianori tira sur Sa Majesté deux coups de pistolet. Giovanni Pianori fut en conséquence traduit, le 7 mai, devant la Cour d'assises de la Seine sous l'accusation de tentative d'assassinat sur la personne de S. M. l'Empereur, crime prévu par l'article 86 du Code pénal et la loi du 15 juin 1853.

Les débats, dirigés par M. le conseiller Partarrieu-Lafosse, ne durèrent qu'une seule séance.

M. le procureur général ROULAND, assisté de M. l'avocat général Metzinger, occupait le siége du ministère public.

Au banc de la défense siégeait M° Benoît-Champy, désigné d'office.

Après l'audition des témoins, M. le Procureur général prit la parole pour soutenir l'accusation.

MESSIEURS LES JURÉS,

Antonio Pianori, réfugié italien, est accusé d'avoir commis un attentat à la vie de l'Empereur.

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Antonio Pianori se reconnaît coupable. C'est bien lui qui, le 28 avril dernier, a tiré sur l'Empereur les deux coups d'un pistolet double. C'est lui qui a été saisi, porteur de deux autres pistolets chargés et amorcés et d'un couteau-poignard. C'est lui enfin qui, jouissant de toute sa raison et de toute sa liberté et les mettant au service de détestables passions, a voulu méditer, exécuter le crime, afin, dit-il, de venger l'occupation de Rome et la démagogie italienne vaincue, chassée par les armes françaises. Devant la certitude du crime et l'aveu du coupable, il semhle que je ne devrais rien ajouter à ces quelques paroles; il semble que je devrais m'asseoir, confiant dans la fermeté du jury et remerciant Dieu avec vous tous, Messieurs, d'avoir sauvé l'Empereur.

Mais il faut que le pays, qui n'assiste point à ces débats, sacbe l'histoire vraie, douloureuse, de l'attentat commis. Il faut du'il connaisse l'assassin, son origine et sa dépravation. Il faut lui révéler, enfin, comment l'esprit révolutionnaire, que je flétris, pratique la vertu et la fraternité, en raccolant ,je ne sais quelle immonde bohême de vagabonds, de coupe-jarrets, pour assassiner les rois et insulter au repos des nations.

Voilà pourquoi j'ai besoin de quelques moments d'attention.

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On aurait pu saisir une juridiction plus élevée, celle de la Haute-cour ; mais l'occasion eût été mal choisie. Quand un assassin est arrêté en flagrant délit, traduisant ses doctrines par un coup de couteau ou la balle d'un pistolet, à quoi bon les solennités et les lenteurs d'une juridiction exceptionnelle ? Il faut le juger promptement et s'asseoir sur le banc des criminels. Il est bon, d'ailleurs, que les régicides apprennent que, s'ils ne sont pas broyés sur place par le peuple indigné, ils sont, en quelques heures, saisis, jugés, frappés par la justice ordinaire du pays.

L'Empereur, en outre, parce qu'il est l'élu de ce pays, lui qui, peut-être imprudemment, n'a voulu jusqu'à présent pour sauve-garde que la foi publique, ne réclame aujourd'hui d'autre justice que celle qui est accordée à tous les citoyens. Je viens demander pour lui, pour sa vie, contre le meurtrier, la protection que la société accorde au plus humble de ses membres; c'est là, Messieurs, un témoignage touchant de confiance et de loyauté envers le jury, et vous y répondrez avec autant d'empressement que d'énergie.

Il faut bien l'avouer, et c'est quelque chose de profondément triste que le développement d'une accusation de régicide, c'est avec dégoût, c'est avec douleur qu'on aborde les incidents d'un crime si odieux.

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Aussi je ne veux pas me traîner dans ces détails, mais vous rappeler seulement en quelques mots l'attentat et son exécution, et tout ce qui,dans la cause, est aussi évident que la clarté du jour. Le 28 avril, dans l'après-midi, l'Empereur sortait à cheval, selon son hahitude; deux aides de camp étaient à ses côtés. Il suivait l'avenue des Champs-Elysées, quand un homme, un réfugié, qui, depuis vingt jours, épiait ses promenades, s'approche de Sa Majesté. Alexandri, ce serviteur dévoué et courageux, remarque cet homme qui, d'ailleurs, était bien vêtu et venait de quitter le trottoir pour s'avancer vers le milieu de la chaussée. Alexandri pense que c'est un pétitionnaire, lorsque tout à coup il aperçoit un pistolet que Pianori dégage de dessous son paletot; il tire son poignard et s'élance sur l'assassin.

A ce même moment, venait à fond de train, de la barrière de l'Etoile, une voiture qui lui dérobe un instant Pianori. Il faut remercier Dieu, Messieurs, de cette circonstance, car c'est peut-être le brusque passage de la voiture qui a troublé le régicide et fait dévier son bras. Pendant qu'Alexandri tourne la voiture, il entend deux détonations ; il se jette aussitôt sur le meurtrier, qui avait saisi un second pistolet chargé ; il l'enlace dans ses bras pour l'empêcher de faire feu, et, dans ce mouvement, il fait, avec la pointe de son poignard, une légère blessure à Pianori, au-dessous de l'épaule.

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Outre le pistolet qu'il venait de laisser tomber à terre et celui qu'il tenait à la main, l'assassin en avait un troisième dans l'une de ses poches; il portait de plus sur lui, non pas un couteau, mais un vrai poignard catalan tout neuf, puis un rasoir; et enfin, une casquette était attachée sous ses vêtements; ce qui veut dire que cet homme songeait, après son crime, à ménager sa fuite à la faveur d'un déguisement. Pendant ce temps, l'Empereur, calme et résolu comme les grands coeurs, regardant le meurtrier du haut de son mépris et de sa pitié, s'écriait, Ne le tuez pas ; puis il poursuivait sa route, impatient de rassurer l'Impératrice, que la premiére nouvelle de l'attentat devait remplir des plus poignantes douleurs.

Voilà le récit du crime.

Maintenant, Messieurs, quel est Pianori ? Quel est cet homme ?. . . Lui. . . vous l'avez entendu, c'est un incendiaire, un assassin, un évadé des prisons, et il a couronné cette vie d'ignominie, lui si jeune, en se faisant soldat dans les bandes de Garibaldi. Il est entré avec elles dans Rome sur le cadavre du noble et infortuné Rossi; avec elles, il a chassé le Pape de la chaire de saint Pierre; avec elles, iI a apporté le meurtre, le pillage et l'anarchie dans la capitale du monde chrétien.

Quels étaient les motifs de l'assassinat ? Pourquoi

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Pianori commettait-il cet attentat ? Nous n'avons pas à satisfaire la curiosité publique, ni à révéler les recherches de la vigilante police de l'Etat. Elle veille, elle s'enquiert, elle sait, elle touche du doigt ceux qu'elle a intéret d'atteindre, et les menées les plus ténébreuses ne lui échapperont pas. Mais ici nous ne sommes que l'homme de la Loi, et nous n'avons qu'à reproduire les éléments judiciaires du débat et à raconter les preuves du crime.

C'est à Londres qu'apparaît, d'une manière ostensible du moins, la première pensée de l'attentat. C'est à Londres que sont achetées les armes. L'accusé, dit-il, gagnait en Angleterre beaucoup d'argent. Pourquoi donc n'y restait-il pas ? Il explique son départ par un prétendu rhumatisme, qui n'a jamais existé, et qui réclamait le climat plus doux de la France. Moi, je dis que Pianori a quitté Londres avec les armes, la poudre et les balles saisies sur lui, pour commettre l'attentat. Je dis due c'est à Londres que le projet a été formé et encouragé.

Là, en effet, des hommes égarés ou corrompus abusent indignement de l'hospitalité trop large que leur accorde la générosité du peuple anglais. Là, ces hommes prêchent, enseignent la révolte et le régicide ; ils souillent la liberté du sol britannique par l'abus des licences les plus effrénées, par toutes les excitations aux haines et aux attentats politiques.

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Pianori vivait au milieu d'eux. Ai-je besoin de vous citer tel ou tel nom inscrit au bas des pamphlets qui sonnent le tocsin des révolutions ? A quoi bon ? Il me suffit d'ajouer que Pianori vient de Londres, qu'il applique les doctrines démagogiques qui s'y réfugient, qu'il a été armé par elles. Vous avez la raison de l'attentat.

Autrement, comment donc Pianori aurait-iI songé en France, dans le pays même qui pendant deux ans lui a donné l'hospitalité, comment aurait-il songé à tuer le souverain de ce pays, qu'il ne connaît pas, qui ne lui a jamais fait inure ni dommage ? " Mais, répond Pianori, c'est l'Empereur qui m'a " chassé de Rome et qui a ruiné ma famille. " Non , l'excuse ainsi présentée est fausse et absurde.

En 1848, vous étiez à Faenza, marié, père de famille. Pourquoi quittiez-vous votre femme et vos enfants ? Qui donc vous poussait à Rome ? Pourquoi couriez-vous à l'insurrection ? Si vous eussiez conservé vos bons instincts, si vous étiez resté au sein de la famille, auprès de votre père, auprès de vos enfants, gagnant votre vie par le travail, en quoi l'intervention française vous eût-elle froissé ? En quoi l'occupation de Rome vous eût-elle porté dommage ? En quoi l'Empereur des Français, rétablissant dans le Vatican un pape vénéré, serait-il devenu l'ennemi du tranquille et laborieux ouvrier de Faenza ?

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- Non, le motif donné par Pianori n'est pas vrai; ou, pour mieux dire, il faut en extraire le sens caché. Encore une fois, le révolutionnaire regrette la démagogie vaincue ; il a voulu venger sa défaite en assassinant l'Empereur. Il n'y a là ni ruine ni dommage personnel ; il s'agit d'un des sicaires de Garibaldi, qui hait profondément le souverain auquel il attribue la restauration de l'ordre social en Italie.

Pianori est venu de Londres avec la pensée de l'attentat. Suivez-le en France; il ne travaille plus, il est riche de l'or apporté de l'autre côté du détroit; il va tous les jours de café en café, de débauche en débauche. Son parti est pris; seulement il épie l'heure propice. En vérité, comment ne pas repousser du pied les hypocrisies qu'il débite ? Il aimait, il admirait l'Empereur, dit-il, il le saluait chaque jour, quand, aux Champs-Elysées, il le voyait traversant les acclamations de la multitude.

Mais, subitement, le 28 avril, quelques heures avant l'attentat, le souvenir lui revient de la famille absente et de la patrie militairement occupée; le voilà sous l'empire d'un paroxysme de fiévre, se précipitant aux Champs-Elysées, et faisant feu sur l'Empereur..... Qui croira ces choses, quand elles sont dites par un homme perdu, poursuivi et condamné en Romagne pour assassinat et incendie; par un démagogue exalté ? Qui croira ces choses, quand pas un des muscles de cet homme n'a trahi ces prétendues agitations ?

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Le crime, vous le savez, Messieurs, était préparé de longue main ; le régicide ne vient qu'à ceux qui détestent les souverains ; il est le résultat de longues haines. Pianori ne trompera personne.

Messieurs,je viens d'exposer rapidement devant vous ce qui constitue l'accusation. Le crime est flagrand , le coupable est convaincu avec ou sans ses aveux, et il faut à la justice une terrible mais légitime expiation. Sachons, en effet, défendre la société contre ses implacables ennemis; sachons défendre le pouvoir qui nous abrite, et le souverain que nous avons acclamé, ramenant parmi nous la sécurité du présent et le droit de compter sur l'avenir.

Les événements actuels font, comme d'euxmêmes, appel au bon sens et au patriotisme du pays.

Voyez autour de vous ! Le duel séculaire entre deux grandes nations, la France et l'Angleterre, fait place à la plus cordiale alliance. Mais l'esprit révolutionnaire s'indigne de cette immense garantie de force et de repos.

Nos enfants, nos soldats, portent haut l'honneur et le nom de la France, sur la terre d'Afrique et sur le sol de la Crimée. Mais l'esprit révolutionnaire ne voit dans nos armées absentes qu'une occasion offerte à ses projets d'assassinat et de bouleversement.

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L'Empereur veut notre patrie forte et honorée, marchant dans les voies de la modération et du bon droit, à la tête des peuples civilisés. Il veut que le travail, l'ordre et l'humanité améliorent la situation des classes pauvres, et nul bouversement au monde n'a plus que le sien l'amour de ceux qui souffrent et la main ouverte pour soulager toutes les misères. Mais l'esprit révolutionnaire, qui se désole de la restauration des grandeurs du pays, de la paix publique rétablie, de la justice et du calme rendus aux classes laborieuses, l'esprit révolutionnaire ressuscite le régicide, et le voilà armant la main d'un bandit contre la vie de l'Empereur, parce qu'il est l'expression providentielle de l'ordre social. Je dis ces paroles au nom de tous ceux qui croient encore à la religion, à la famille, à la moralité, au droit des personnes et des choses, à la destination éternelle des gouvernements et des sociétés. - Je dis cela en leur nom, quels que soient leurs affections, leurs regrets, leurs espérances politiques ; car le régicide, que je flétris, serait l'avénement sanglant du génie du mal et le signal d'interminables ruines.

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C'est encore en leur nom, au nom du pays tout entier, que, revenant au sentiment profond que j'exprimais au début de mes paroles, je remercie la Providence d'avoir égaré le bras de l'assassin. Non! non! le régicide ne réussira pas; la vieille devise française et chrétienne reste vivante et défendra l'Empereur : Dieu protège la France!

Messieurs les jurés, mon devoir est accompli, le vôtre commence, et vous le remplirez avec autant de conscience que de fermeté.

Après le résumé de M. le Président, le jury se retire dans la chamhre de ses délibérations. Au bout de quelques instants, il rentre en audience; le chef du jury donne lecture du verdict, qui est affirmatif.

M. le Procureur général requiert contre Pianori l'application de la peine des parricides.

M. le Président, au nom de la Cour, prononce un arrêt qui, par application de l'article 86 du Code pénal, combiné avec la loi du 10 juin 1853, condamne Giovanni Pianori à la peine des parricides.

Pianori entend cet arrêt sans manifester d'émotion.


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